Myriam, peux-tu me parler de ces trois sérigraphies que nous avons éditées ?
C’est simple, c’est le même protocole que pour les trois premières.
J’ai décidé suite à l’invitation faite par l’artothèque intercommunale de Miramas et de l’atelier Tchikebe de ne pas produire des oeuvres spécifiquement pour ça mais plutôt faire quelque chose de nouveau à partir de dessins déjà réalisés. J’utilise ce que j’ai déjà fait pour en extraire une nouvelle version. Je crois que quand on travaille, souvent on fige les choses, et elles deviennent immuables. Ça donne une fluidité et un nouveau mouvement au travail.
Pour moi, la sérigraphie n’est pas juste une reproduction à l’identique d’une oeuvre existante, mais ça permet de trouver des solutions graphiques pour les transformer, leur donner autant de possibilités de lecture. On avait décidé dès le départ de faire trois sérigraphies à fond rouge et trois à fond bleu. C’était les seuls paramètres de départ, il n’y avait pas d’autres choses prédéterminées. J’avais des envies, mais pas une idée précise. Je savais ce qui pouvait être adapté au format et j’avais envie d’être sur trois registres différents comme pour la première fois.
Cette image vient de d’une peinture de Sainte Lucie, un thème récurrent présent dans les peintures de la renaissance, où il y a une tige avec deux yeux comme deux fleurs. Cette représentation est bouleversante, et cette sérigraphie fonctionne de la même manière, comme si on pouvait tenir dans ses mains un arbre de vie. Tu ne sais pas si ce sont les larmes qui sont les tiges ou des sortes de rhizomes. Le tout tenu dans les mains, lieu intime de tout ce qui peut se fabriquer, là elles se tiennent comme un terreau à cette fleur. On peut tous avoir notre fleur. Peut-être que certains ont beaucoup d’yeux et d’autres n’en ont qu’un seul, et peut être beaucoup de larmes aussi. En tout cas c’est une image construite et pas vraiment triste malgré les larmes. Je crois qu’il en faut beaucoup pour avancer. Des larmes comme moteur.
Quel est ton rapport au multiple et à l’édition ?
C’est un rapport qui n’est pas récent parce que ça fait un moment que j’en fais. La place de l’édition et du multiple, c’est un positionnement politique. Pour moi, il n’y a pas de distinction entre l’impression et l’oeuvre unique. La production de pièce unique rend la chose un peu trop élitiste, et met l’oeuvre a distance. Ça a une dimension humaine forte et sensible, c’est l’instant présent et personne ne pourra le reproduire.
L’édition permet autre chose : les gens qui n’ont pas les moyens de la pièce unique peuvent s’offrir une oeuvre à 100 ou 150 euros, ce qui est déjà beaucoup d’argent pour certains. Mais ça permet de faire entrer chez des gens non initiés des oeuvres qu’ils ne pourraient jamais frôler. Pour moi, c’est une vrai dimension démocratique. Ça désacralise le travail. L’art c’est quelque chose de confondu à la vie en fait, pas de rupture. L’impression me permet de rattraper cette hiérarchie et de revenir à quelque chose de plus humain, plus simple et de montrer qu’en fait si on exclut l’art de notre société ça ne fonctionne pas. C’est une façon de rendre l’art accessible sans que ce soit une sous catégorie du travail. J’y travaille avec autant de temps et autant d’intensité. Pas une simple reproduction mais une nouvelle proposition.
Qu’est-ce qui t’a convaincu de travailler avec Tchikebe ?
Mais, c’est Tchikebe qui m’a convaincu de travailler avec eux ! J’ai eu la chance de les rencontrer à Paris et ils sont venus à moi. L’artothèque intercommunale de Miramas avait fait la proposition à Tchikebe de produire des sérigraphies pour que je puisse entrer dans leur collection. Cette deuxième session de travail fait partie de cette invitation là qui est en fait en deux temps (2019-2020). Mais je crois qu’on a pas besoin d’être convaincu pour travailler avec eux. Il suffit de venir à l’atelier et de les voir travailler. Faisant de la sérigraphie moi-même, j’ai pas envie de travailler ici comme je travaille dans mon atelier. La plus value est dans le le challenge graphique et technique. Pour moi, ce ne sont pas que des imprimeurs. Je viens ici et on travaille ensemble sur le choix des images et nous échangeons pour savoir comment je les modifie. C’est un constant va-et-vient pour comprendre comment on peut amener une image à son point exact d’équilibre. C’est en ça que ce ne sont pas que des imprimeurs mais des éditeurs. Et c’est pour ça aussi que je ne travaille pas à distance et que je viens passer trois jours à l’atelier. Ça permet d’écouter ce que Julien dit, son retour, les couleurs, ce qui est possible, c’est une vrai discussion, un véritable travail d’édition et de collaboration. Mes images elles sont ce qu’elles sont parce que c’est eux, pas parce que j’avais décidé que ça devait être comme ça.
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Myriam Mechita
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